Vous n'êtes pas identifié(e).
Pages : 1
TRILBY, pseudonyme de Thérèse de MARNYHAC, devenue Madame Louis DELHAYE (1875 – 1962). A écrit de nombreux romans pour enfants et des romans que l'ineffable Abbé Bethléem qualifie de « Mondains », donc Trilby n'était pas en odeur de sainteté totale vue par les bons pères.
.
Je ne peux pas résister à vous reproduire le début du texte d'un de ces romans datant de 1940 et illustré par Manon IESSEL : « Dans la salle à manger du château de Rosalys le majordome achève de préparer la table autour de laquelle les trois jeunes grandes-duchesses, filles du grand-duc André régnant sur le duché de Brahdhellys vont venir goûter avec leur amies pour fêter les treize ans de Béatrice, l'héritière du duché ». Bon, un grand duché fictif ce n'est guère palpitant conjecturalement parlant, mais le plus intéressant est le titre même de l'ouvrage d'où, peut-être je vois une provocation de l'auteur : « Coco de France »
.
Dans le numéro 27 du jeudi 5 juillet 1906 de l'hebdomadaire : « L'ECOLIER ILLUSTRE », TRILBY fit la synthèse des réponses d'un concours qui demandait aux lecteurs comment ils voyaient le monde futur. Accrochez-vous ! C'est dans son jus. En plus les lecteurs et lectrices prenaient Trilby pour un monsieur.
.
« Que sera notre monde dans trois mille ans ? Ma foi, monsieur Trilby, je n'en sais rien ! Ni moi non plus, mes enfants. Alors, allons-y gaîment de nos "peut-être" et de nos "si". Aussi bien, quand le moment sera venu de les vérifier, il y aura belle lurette, comme dit une de mes jeunes lectrices, qua Madame Gertrude et moi n'auront plus mal aux dents. Premier point d'interrogation, qui a bien son importance, dans trois mille ans, le monde existera encore ? - Non ! Déclare un Jérémie de la Haute-Saône, car, d'après une prophétie de je ne sais plus quel prophète, Jésus viendra dans le milieu des temps, or, comme il y a à peu près quatre mille ans d'Adam à Jésus... "Calcule si tu peux, et conclue si tu l'oses !". Moins apocalyptique, sinon plus rassurant, un autre de mes amis admet volontiers qu'une comète vagabonde heurte en courant notre pauvre planète, et la réduise en miettes, ou que la Terre soit tellement refroidie que tous les habitants seraient morts... Mais je m'arrête, car cela devient trop triste, ces perspectives-là !... Ma foi oui, cela devient trop triste. Espérons que notre pauvre vieux globe n'en est pas encore là, et supposons - comme le concèdent les conservateurs - que dans trois mille ans, notre planète, si elle existe - aïe ! - Sera encore soumise aux lois actuelles de la gravitation et de la rotation - allons, tant mieux ! - et que tout sera à la même place qu'autrefois. - Ainsi soit-il !
.
Et notre humanité? Qu'est-elle devenue, dans tout ce mic-mac ? - Mon Dieu, elle va couci-couça, l'humanité, comme ces omelettes qu'on ne fait pas sans casser des œufs. Certains on vu la casse, ce sont les pessimistes ; d'autres, le plus grand nombre, n'ont d'yeux que pour l'omelette. Au fond, il ne s'agit que de s'entendre! Considérez, en effet, qu'un bond de trois mille ans dans l'avenir est plus facile à dire qu'à faire. La plupart de mes petits prophètes se sont déjà crus à l'an 5000, alors qu'en réalité, ils n'avancent que de deux ou trois pauvres siècles sur l'heure contemporaine. Attribuer leurs projets et leurs rêves à la même période des temps, c'est commettre un anachronisme aussi grave que de faire mourir Artaxerxès Longue-Main dans un accident de chemin de fer!
Remettons les choses au point, et, vos copies en main, voyons un peu ce que sera la société humaine à une époque relativement rapprochée... Quelque chose comme le XXXème siècle après Jésus-Christ.
Il est probable que l'homme de ce temps-là n'aura pas beaucoup changé ni physiquement ni moralement. Il aura toujours la même tête pour penser, les mêmes organes pour agir. Une mignonne lectrice le représente bien une paire de jolies ailes adroitement attachées derrière le dos. J'en doute un peu, étant donné l'extraordinaire développement des moyens de transport.
Quant à sa couleur, j'hésite à me prononcer. La petite fille qui nous a déjà menacés des pires calamités annonce bien l'entrée en scène de peuples nouveaux et tout neufs qui viendront chasser les anciens, mais elle ne dit pas qu'ils seront bleus verts ou arc-en-ciel. - Peut-être, comme l'assure un jeune statisticien, les nègres et les peaux-rouges auront-ils disparu, laissant les Européens et les Japonais se partager la surface du globe. - Il se peut encore que les Chinois, ces vilains hommes à peau jaune, ayant secoué la torpeur qui les engourdit, se lèvent en masse et viennent anéantir les enfants de la vieille Europe... assez bêtes pour les instruire de leurs découvertes. Heureusement, celle qui nous prédit ces vilaines choses nous prévient que si elle les dit, c'est tout simplement pour gagner le prix. Donnons-lui vite ce qu'elle demande, ne serait-ce que pour conserver au futures Parisiennes ce teint de lisse et de roses que Pékin nous envie !
Ayant ainsi écarté le péril jaune, je puis rassurer mes treize patriotes, de Reillaune sur le sort de notre belle patrie. Oui, mes enfants : la France, soit grâce à un retour imprévu aux traditions monarchiques, soit par le libre jeu des institutions républicaines la France est arrivée à l'apogée de sa grandeur - les autres nations ayant reconnu ce qu'elle avait fait pour le bien de tout le monde, et l'entassement de ses sacrifices qui allaient montant en pyramide jusqu'au ciel. Ces heureux habitants, délivrés des petits soucis matériels, se sont tournés vers les arts libéraux, et chacun dans son genre est un artiste.
Vous apprendrez donc, sans gros étonnement, qu'elle a repris sans guerre, notre chère Alsace-Lorraine, et s'est même augmentée de l'Autriche - probablement un cadeau amical du dernier des Habsbourg, en échange de son portrait en pied.
Les autres nations on mis plus de temps à sortir de l'obscurantisme. En voici une où les enfants même passent leurs journées à se battre. En voici une autre dont les habitants ne songent qu'à boire et à manger : et comme ce régime a détraqué leur santé, ils sont gouvernés par des médecins... ce qui est tout dire.
Heureusement, la France est dans, ces nations rétrogrades se sont peu a peu constituées en république et finalement groupées en une vaste confédération communiste, les Etats-Unis Universels, dont notre patrie est, bien entendu, l'Etat le plus prospère et le plus aimé.
Désormais, plus de frontières, puisque tous les peuples seront frères, plus de soldats, puisqu'on ne se battra plus. C'est l'ouvrier zingueur qui racontait ça, l'autre jour, à son camarade, observe un pacifiste un tantinet sceptique, et mon frère, si fier sous son beau casque de dragon les a appelés imbéciles. Il avait raison, mais en l'an trois mille, il aura tort.
D'abord, parce que toutes les querelles de races, s'il en reste, seront tranchées par un Tribunal Arbitral : tout arrive, même des Congrès de la Paix qui ne déchaînent pas la guerre.
Ensuite - et j'ai plus confiance dans cet argument-là ! - Parce que la guerre même aura tué la guerre. Quand on aura inventé des machines infernales qui en cinq minutes, et même moins, pourront détruire un pays entier, par exemple l'Allemagne et tout autour des fragments de la Russie, de l'Autriche, etc. Quand des canons perfectionnés iront perforer jusqu'au sein des nuages les rares hommes-oiseaux qui auraient échappé à la bouillabaisse... Il faudra bien, n'est ce pas, se résoudre à remiser tout ce matériel diabolique dans les musées d'artillerie rétrospective, et voilà la Terre en paix pour le restant de ses jours !
Oui ! Mais la lutte entre prolétaires et capitalistes, la guerre de classes, la guerre civile, chère à l'ouvrier zingueur, sera-t-elle abolie... comme l'autre ? Car je vous avoue, mal pour mal, je préfère la bataille à l'émeute, et les grévistes français aux uhlans prussiens. "Bien sûr qu'elle sera abolie, monsieur Trilby !", répondirent en coeur mes gentils humanitaires. Car la fortune, cette cause de division et de jalousie, aura disparu encore plus complètement que du temps des spartiates. Tous les hommes seront aussi riches l'un que l'autre, ou plutôt, ils ne le seront ni l'un ni l'autre. Ce sera un vrai pays d'amour et de paix éternelle, si ses habitants ne le sont eux-mêmes. En ce bien heureux état communiste, tout le monde sera content de son sort, et l'on ne verra plus, comme aujourd'hui, de pauvres qui mendient aux places publiques ainsi que des voleurs.
J'en accepte l'augure, mes biens chers enfants, encore que vos intentions soit plus nettes que vos programmes. N'empêche que cette transformation de la société ne se fera pas du jour au lendemain... Si elle se fait jamais : Ce qu'il y a de certain, raisonne un philosophe, c'est que toujours il y aura des paresseux et des travailleurs, des maîtres pour commander et des serviteurs pour obéir parce que la nature le veut ainsi. Une des mes correspondantes, pourtant bien optimiste, ne calcule-t-elle pas trois mille ans de lutte entre les classes avant qu'elles puissent atteindre à l'idéal qu'on poursuit depuis que le monde est monde.
Et comme, jusqu'à cette heure bénie, il se trouvera par-ci par-là quelques détraqués pour trouver la mariée trop belle, gare à la bombe... La bombe comme sauront en fabriquer les nihilistes en l'an de grâce trois mille ! Nos arrière-petits-neveux ont de belles émotions sur la planche.
.
Au risque de nous faire tamponner par un train-bolide ou écrabouiller dans un engrenage perfectionné, faisons un petit tour, si vous le voulez bien, dans cette immense usine qui est devenue le globe terrestre.
Car je n'ai plus à vous apprendre, mes chers lecteurs, que la Machine est la reine de l'an 3000. C'est encore à elle, et à elle seule, que l'homme futur demande la satisfaction de ses besoins, l'embellissement de son domaine, le plaisir, la santé, et jusqu'à l'instruction.
La distance n'existe plus, grâce aux moyens de transport ultra rapides qu'il a su inventer ou mettre au point. Un piéton qui se sert de ses jambes pour marcher éveille cette pitié mêlée de curiosité que cause aux passants d'aujourd'hui les culs-de-jatte sur leur planche à roulettes. Il n'y a guère que les flâneurs à se prélasser dans l'automobile vieille patache démodée, faisant à peine du 500 à l'heure.
A quoi bon! Tout le monde n'a-t-il pas dans le dos un petit moteur, qui, sur une pression, met en mouvement deux ailes élévatoires? Et ses souliers moteurs à patins rebondissants, ne remplacent ils pas avantageusement les Bottes de Sept Lieues du bon Perrault ? Et plus à craindre, comme jadis, qu'une enjambée trop vigoureuse ne vous envoie piquer une tête en plein Océan Pacifique, car on a inventer une matière qui, collée aux semelles, permet de se tenir sur l'eau.
Avez-vous à faire dans la grande banlieue, à Pékin, par exemple, ou à San Francisco? Le tramway aérien vient cueillir votre famille et vos bagages sur votre toit; quelques secondes plus tard vous vous trouvez installé confortablement dans le chemin de fer sous-marin qui relie Paris à New York - ou encore dans l'Antipode-Express, ce métropolitain audacieux qui pique droit au plus court, par le centre de la terre, sans plus s'inquiéter du feu central.
Peut-être, encore, voulez vous embrasser, en courant, une tante éloignée qui soigne ses 228 ans à Atlantide, la citée de corail rose et de nacre, fondée - c'est le cas de le dire - au fond même de l'Océan? - Vite, entrez dans le Tube à air comprimé qui assure le transit, et all right! Vous voilà expédié à destination, tel une carte pneumatique, à la vitesse d'un boulet de canon.
Vous riez? Allons donc! Ignorez-vous qu'à cette époque de progrès, on vit sous l'eau aussi commodément qu'à la surface, grâce à un ingénieux perfectionnement du scaphandre? Et ce n'est pas un spectacle banal que ces immenses sanatoriums sous-marin, ou les enragés de la méthode Kneipp font des cures d'eau salée à haute pression, tandis que des sous-marins de toutes dimensions et de toutes formes - les fiacres de l'endroit - passent à côté d'eux en sifflant.
Quant aux hommes-oiseaux ils sont encore plus nombreux que les hommes-poissons. Ici encore, nous retrouvons les deux systèmes rivaux : transports publics, sous forme de chemins de fer aériens pour familles encombrées et voyages circulaires et dirigeables particuliers, de toutes formes, de toutes marques, ballons, hélicoptères ou aéroplanes... tout cela filant à un nombre de kilomètres si considérable qu'il n'y a pas assez de zéro à l'imprimerie pour les exprimer en chiffres décimaux.
Il parait même qu'on va couramment passer ses vacances dans la Lune. Mieux encore : savourer cette "nouvelle de la dernière heure", chuchoter à mon oreille par une jeune sirène bien renseignée : Un savant, qui, dans sa maison volante, s'est approché de la planète Mars à une trentaine de millions de kilomètres, certifie qu'à l'aide d'une lunette puissante il a vu des villes et des monuments...
Le brave savant n'a oublié qu'une chose : c'est que les ballons, comme les voitures et les vaisseaux, ne peuvent se soutenir et avancer sans point d'appui, je veux dire sans atmosphère. Or, comme la couche gazeuse appelée de ce nom cesse à quelques myriamètres de la surface solide, il est encore plus impossible d'aller de la Terre à la Lune... Sans air, que de traverser la Sahara en transatlantique... sans eau !
Consolez-vous, futurs aéronautes ! La colonisation des planètes n'a pas dit son dernier mot : nous n'en sommes encore, ainsi que j'avais l'honneur de vous en avertir, qu'au trentième siècle, époque de tâtonnements.
Pour l'instant, contentons-nous d'arrêter quelques minutes le tournoiement fantastique de notre hélice, et, par l'entrebâillement des nuages, jetons un regard sur le globe terrestre. Que voyons-nous ?
Une sorte de grand damier, mi-vert, mi-jaune, avec des points éblouissants qui sont les villes. Est-ce la Normandie ? L'ex-Pôle-Sud, ou le ci-devant Sahara ? Impossible de préciser. Voici longtemps que les terriens ont domestiqué les courants chauds et froids de l'Océan, qu'ils savent utiliser pour le chauffage en grand l'énergie calorique du Feu Central, que par une simple commotion électrique, ils disposent à leur gré de la pluie et du beau temps. Aussi ont-ils corrigé l'inégalité des saisons, des altitudes et des climats. - Pressons le bouton de la descente : le paysage se précise. Les cases vertes du damier sont des parcs féeriques : ici des futaies majestueuses, où s'ébattent en liberté, pour l'instruction des foules, tous les spécimens d'animaux antéhistoriques, tels que chevaux, éléphants, tigres, chiens, perroquets. Là, des parterres de fleurs rares, dont le parfum monte jusqu'à notre nacelle. Plus loin, des herbages, où paissent et picorent les animaux dont on a conservé la race : la vache, pour son excellent lait, la poule, pour ses excellents oeufs. - De loin en loin, des vergers en plein rapport, si bien chargés de fruits que les petits enfants gourmands sont constamment à rôder sous leurs arbres, cherchant à attraper les plus grosses cerises ou les plus succulentes pêches.
Les cases jaunes représentent des champs de blé. Sous le soleil, les belles moissons jaunissent ; tout à coup apparaissent à l'horizon une grande quantité de machines : faucheuses, batteuses, lieuses entrent dans le champs. Rien ne les traînent : seule, une petite tige de fer émerge de leurs nombreux mécanismes. La moisson disparaît et est remplacée par les sacs de blés qui s'alignent et les montagnes de paille.
Quelle est l'âme de cet organisme ? - Braquer votre télescope sur ce joli chalet enfoui sous les fleurs : voyez-vous cet homme assis devant une plaque couverte de boutons électriques qu'il presse de temps en temps ? C'est l'unique directeur et ouvrier de l'usine, il envoie des ondes hertziennes dans toutes les directions... et, docilement, la moisson se transforme en brioche dorée et en galette des rois !
Et c'est ainsi partout : les machines remplacent la force humaine. Au lieu de l'enfantine mine aux mineurs, de l'horrible charnier souterrain de Courrières, voici la mine sans mineurs, où seul pénètre l'extracteur automatique, insensible aux coups de grisou. Au surplus, la mine même est en voie de disparition. Sans attendre sottement que le dernier filon du Yunnan ait livré sa dernière tonne d'anthracite, nos arrière-neveux ont emprunté la force motrice à la houille blanche des cataractes, aux inépuisables réservoirs d'énergie du feu central et du soleil. Il paraît même qu'ils ont réalisé l'utopie du mouvement perpétuel : dommage qu'on ne dise pas comment !
Grâce à cette simplification prodigieuse de la main-d'oeuvre, l'ouvrier le plus "exploité" ne travaille qu'une heure vingt par an. Une heure vingt ! M. Jules Guesde, lui-même, l'heureux élu de Roubaix, n'en a pas tant promis à ses électeurs !
Et les enfants ? Demandent mes écoliers : combien d'heures par an travaillent-ils ? Vont-ils même en classe, comme à notre époque barbare ?
Non, mille fois non ! Le collège est aboli, comme la caserne, par la simple logique du progrès. A quoi serviraient les machines à apprendre ? Et puis, on a étendu les bienfaits du suffrage universel à tous les êtres réputés raisonnables, par conséquent aux fillettes et aux garçons. Vous devinez le résultat : les institutrices, toujours en minorité, obéissent et font les pensums, les élèves commandent, avec une écrasante majorité : Les écolières se pavanent sur des fauteuils de velours, n'écoutant que d'une oreille les conseils de leur maîtresse...
De là à supprimer les classes, il n'y avait qu'un tout petit pas à faire, et on l'a fait. Quelque chose encore qui me plairait dans ce temps-là, c'est qu'il ne serait plus nécessaire de se lever de bonne heure pour aller à l'école, puisqu'on aura qu'à appuyer sur un bouton électrique pour écouter, de son lit, les leçons du professeur ; et quand on en aura assez, on fermera l'appareil. Quelle commodité !
.
Ainsi, personne n'ayant rien à faire que presser des boutons électriques, sauf les professeurs - il y a toujours des victimes du progrès ! - les Terriens de l'an 3000 n'auront plus qu'à se la couler douce, en occupant comme ils pourront leur désoeuvrement.
Ils se gobergeront dans de confortables battisses à l'américaine, véritables Tours Eiffel d'au moins 25 étages, munies de tous les perfectionnements imaginables : distributeurs automatiques suppléant aux facteurs ; - extincteurs d'incendies remplaçant les pompiers - éclairage et chauffage au radium, téléphones, théâthrophones et autres appareils en phone permettant de suivre de son fauteuil les pièces à sensations, les cours savants, les harangues d'Académie et la conversation des hommes illustres ; - champagne et "petits vents du nord" à tous les étages, et ascenseurs... jusque dans les cheminées !
Pénétrons dans un de ces intérieurs "dernier-bateau" : un jeune ménage, justement, est bien popote. Songez qu'ils n'occupent, mari et femme, que deux étages de l'immeuble ! - On attend, paraît-il, un ami de Chicago pour déjeuner... M. Electric Dérengetoi : ils ont des noms à faire peur, maintenant !
Madame est à sa toilette, se lave à s'en dire. Oh ! Ces femmes ! Toujours les mêmes ! Voici, montre en main, plus de huit minutes quarante-cinq secondes quatre cinquièmes que la nôtre hésite entre un costume tailleur de verre filé et une robe faite de nuages rosées, constellés de vraies étoiles et d'ailes de papillons. - Huit minutes quarante-trois ! Soixante quatorze fois le temps qu'il lui faudrait, avec sa toilette électrique, pour se brosser, peigner, laver, frictionner, habiller, bichonner et rebibichonner !
Monsieur, lui, est un homme ponctuel. A deux heures tapant, réveil : par un tuyau placé au-dessus de son lit, son petit-déjeuner a glissé dans sa bouche, tandis que le même déclenchement électrique lui donnait une douche et l'habillait. Et madame qui s'éternise devant son miroir ! Et l'invité qui n'en finit pas, dans son sous-marin : sept minutes trois secondes pour venir de Chicago au boulevard des Italiens, quelle brouette !
Enfin, le voilà ! Voilà, Madame, dans un vaporeux « négligé » en rayons de lune nimbés d'aurore : entre deux costumes, elle a choisit le troisième ! Déjeuner copieux, concentré dans une pilule. Digestion en Italie ; goûter à Pékin ; cette fois, on respire des vapeurs de confitures contenues dans une fiole. Shake-hands, retour en cinq sec, auto déshabillage en un cinquième de seconde, quelques minutes de journal-phonographe, allo, allo, un bouton, deux boutons, trois boutons, bonsoir, dodo... Reposons-nous : nous l'avons bien mérité !!!
.
Voilà, mes chers enfants, comment vivront les descendants de nos « trimardeurs », en l'an... je peux bien dire, n'est ce pas, en l'an 3000 de notre ère ; car vous jugez, comme moi, que cette existence à la fois si remplie et si vide, cette éternelle promenade en ballon dirigeable, cette apothéose du mouvement pour ne rien faire, ne répond que bien imparfaitement aux aspirations de notre âme et aux besoins de notre vraie nature. Je vous l'ai montré en optimiste, par le bon côté : mais la médaille a un revers, et quel revers !
Commençons par les moindres « tuiles » qui tomberont sur la tête passant, sous forme de ballons tamponnés et d'aéronefs télescopées. Si les oisifs de ce temps-là – qu'un de mes lecteurs appelle le règne des agités – flânent déjà à mille lieux à l'heure, qu'inventera-t-on, s'écrie-t-il pour le moment où il faudra se dépêcher ? Ce sera sûrement un casse-cou quelconque, quelque chose qui nous donnerait le vertige maintenant, mais qui, à cette époque, sera une chose tout à fait ordinaire. Avis aux gens paisibles, comme cette petite fille qui prévoie que si on continue ainsi, l'on ne pourra plus se hasarder à sortir de chez soi sans avoir fait son testament et ses adieux à sa famille.
Tirons la conséquence, avec nos pessimistes : elle n'est pas gaie ! Cette vie toute artificielle – pilules et électricités – amènera la déchéance physique et morale... ce sera l'enfer sur la terre : nous n'en sommes encore qu'au purgatoire ! Comparez les hommes primitifs aux formes d'athlètes, à la santé de fer, avec nos intellectuels rabougris et nos savants ratatinés : et bien, leurs descendants, malgré une hygiène rigoureuse, seront encore plus faibles et mal constitués, parce que l'espèce humaine suivra forcément la décadence de notre planète qui, en se refroidissant, aura une influence néfaste sur la nature entière.
En vain, les Roux et les Pasteurs à venir s'ingénieront-ils à terrasser l'alcoolisme, à détruire tous les microbes de la diphtérie et de la tuberculose : De nouvelles maladies contagieuses seront découvertes par les médecins. – Décidément, les médecins n'ont pas une bonne presse.
Si bien que le sol étant épuisé, la race dégénérée et le globe refroidi, il faudra un cataclysme pour ramener la planète en son état naturel. – Et je vois d'ici les poètes reprendre, en l'aggravant, l'anathème d'un Enfant du Siècle : ... Tout est bien ratissé sur vos chemins de fer ;
Tout est grand, tout est beau... mais on meurt dans votre air
Non, mes enfants ! La pensée ne meurt pas « c'est de là qu'il faut nous relever, non de l'espace et de la durée que nous ne saurions remplir. » - Vous avez assisté aux dernières convulsions du vieux Monde : regardez à l'Orient, où palpite déjà l'aube du monde!
Ce corps humain, qui vous semblait rachitique est presque moribond, examinez-le de plus près, vous constaterez qu'il diffère sensiblement de celui d'un chimpanzé, ou, c'est à peu près la même chose, du bipède humain de la Troisième République. La tête est proportionnellement plus grosse, résultat de l'affinement intellectuel observe un de mes plus sagaces correspondants. – C'est, en effet, une loi invariable de la nature que les organes se développent en proportion de ce qu'ils s'exercent, et que ceux qui ne fonctionnent jamais s'atrophient.
Or, les organes inférieurs se sont tellement « atrophiés » en trente siècles consécutifs, que l'Homme de l'an 5000 en est à peu près réduit à la matière cérébrale et à ses annexes immédiates. – Plus de système digestif, puisqu'on ne se nourrit plus que de vapeurs alimentaires, plus de jambes, puisqu'on ne marche pas. Au lieu de cette matière grossière qu'on nommait les yeux et les oreilles, une vue électrique et des cornets magnéto-acoustiques, permettant à chaque mère de suivre des yeux son fils absent et de lui parler comme s'il était à la maison.
A quoi bon, désormais, les remèdes contre la maladie, ou les pilules contre le vice ? Le vice même disparaît avec ses causes : plus de paresse, puisqu'il n'y a plus de membres à reposer ; plus de mensonges, puisque les cerveaux sont devenus translucides comme le plus pur cristal.
Car ils sont devenus, le spiritisme, la seconde vue, la transmission de la volonté, l'extériorisation de la sensibilité ont été tirés au clair par un institut, spécialement établi pour étudier et connaître le monde des Esprits. En 3000 ans on aura eu le temps de s'instruire ; on causera avec les Esprits, et il s en auront des choses à dire !
Des ailes ! Des ailes ! Des ailes ! Dans ce monde où la chair pesanteur nous enchaîne plus à la poussière plus à la poussière terrestre, l'Esprit pur a pris son essor. Qu'importe, à l'Homme spiritualisé de l'an 5000, cet imperceptible écueil, perdu dans le scintillement des astres, qu'on nomme la terre ? Sans bouger, de ce port d'attache il envoie sa vue, son ouïe, son toucher, son odorat, exploré l'infini du firmament ; dans la même seconde, il contemple les cratères éteints de la Lune, respire les fleurs étranges d'Uranus, et court de soleil en soleil sur la poussière d'or de la Voie Lactée.
A-t-il trouvé le remède à la mort ? – Peut-être : mais la Mort est si peu de chose pour lui ! Les âmes, encore captives, des vivants, ne sont-elles pas en communion, toujours plus intimes, avec celles des chers défunts que la mort a affranchies de leurs dernières chaînes? O ma mère depuis longtemps disparue, si nous avions vécu dans un temps comme celui-là, tu vivrais encore, tu embrasserais tes enfants, et nous n'aurions pas connu les regrets d'une aussi dure séparation !
Et peut-être qu'alors Dieu, trouvant sa Créature assez parfaite, laissera tomber de ses puissantes mains cette grande boule ronde où nous vivons, avec un peu de joie, mais aussi avec tant de misères ! Et ce sera la Fin des Temps, ou plutôt le commencement de l'éternité !
Nous n'en sommes pas encore là, mes chers enfants ! Remettons-nous donc à notre tâche, si ingrate soit-elle, forts de notre nature, et confiants dans notre destinée. Soyons les hommes de notre temps, sans mépriser le passé, sans non plus prendre le Rêve de demain pour la Réalité d'aujourd'hui ; et disons-nous bien que le moindre effort désintéressé, la plus petite parcelle de bien-être ou de savoir que nous offrons à nos semblables, sont un pas de plus vers l'Affranchissement et vers la Lumière ! »
.
TRILBY
Je vous avais prévenu. Bon ! Honnêtement, je n'ai jamais lu intégralement de livre de cet auteur, mais il m'étonnerait qu'il y ait des grosses surprises conjecturales dans l'œuvre de Trilby. Elle a écrit beaucoup dans « l'ECOLIER ILLUSTRE », mais à première vue ne s'était « lâchée » qu'une seule fois. Isma
Dernière modification par Ismaël II (05-01-2011 18:32:06)
Hors ligne
Hu-hu, j'ai lu en diagonale pas mal de Trilby qui est encore recherchée aujourd'hui dans les éditions illustrées par Manon Iessel. C'est terriblement dégoulinant mais bien écrit, avec des titres frisant l'immortalité imbécile comme Poupoune et le pays des navets, un chef-d'oeuvre dont j'ai eu du mal à me remettre. Pas une once de conjecture à moins de considérer les retournements de situation incroyables qui transforment les petites filles aux allumettes en héritières aristocrates?
Coco de France, outre le titre en blanc sur fond rouge, est signée Iessel? Je ne reconnais pas son style (et je n'arrive pas à lire la signature).
Hors ligne
Pages : 1
[ Générées en 0.019 secondes, 10 requêtes exécutées - Utilisation de la mémoire : 1.33 Mio (pic d'utilisation : 1.38 Mio) ]